Ce blog est entièrement consacré au polar en cases. Essentiellement constitué de chroniques d'albums, vous y trouverez, de temps à autre, des brèves sur les festivals et des événements liés au genre ou des interviews d'auteurs.
Trois index sont là pour vous aider à retrouver les BD chroniquées dans ce blog : par genres, thèmes et éditeurs.
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Bonne balade dans le noir !

dimanche 25 septembre 2016

[Phileas Fogg meets Rouletabille !] - Silas Corey - Le Testament Zarkoff, par Fabien Nury et Pierre Alary (Glénat)

 11 novembre 1918. Albert Percochet, détective - suisse - de son état, vient mourir sur le seuil de la villa de Silas Corey, et ses dernières paroles sont recueillies par Nam, le fidèle assistant de Corey. Des paroles bien étranges : " Zarloff... Wotan.. Tuez-les". Silas découvre vite que Percochet était sur les traces de l'héritier unique, et fils naturel, de la comtesse Zarkoff, une femme à la tête d'une fortune colossale construites sur les cendres de la guerre. Une fortune qui attire bien des convoitises, d'autant que la comtesse est mourante... Et c'est à Silas, qu'elle avait déjà croisé lors de l'affaire du réseau Aquila, qu'elle confie la tâche de retrouver cet héritier, un certain Johann Zichler. Corey se rend en Allemagne, et commence par retrouver Nina, la femme de Zichler, mais pendant de ce temps là, la comtesse trépasse et Silas doit vite trouver l'héritier avant une date fixée sur le testament. Silas parvient à enfin retrouver Zichler, mais l'affaire se complique car celui-ci est devenu le leader du parti patriotique Wotan, un personnage qu'il est difficile d'approcher. Et que se passerait-il si son parti, visant le pouvoir à l'échelle européenne, devenait soudain immensément riche, car à l'héritage Zarkoff ?


Vous l'aurez compris, si vous n'aviez déjà lu le premier diptyque (Le réseau Aquila) mettant en scène de Silas Corey : les aventures de ce détective-espion croisent plus d'un genre. Pour ce testament Zarkoff, le point de départ, de facture policière, puisqu'il s'agit du meurtre d'un détective, tourne vite à une course contre la montre géo-politique, teintée de .... romantisme. En plaçant leurs personnages au coeur de l'Histoire - l'Europe de l'immédiate après-guerre de 14-18 - Fabien Nury et Pierre Alary, donnent à lire tout à la fois un formidable récit d'aventures, parsemé de scènes spectaculaires assez époustouflantes (duel sur des toits en plein incendie, courses-poursuites dans les rue Munichoises, embuscade en forêt...) et un récit historique, où les peuples sont emportés par le tourbillon des événements, et peuvent s'inquiéter pour leur avenir commun. Et le romantisme dans tout cela ? Il est personnifié par les relations que Silas entretient avec les deux personnages féminins du diptyque : Nina, la femme de l'héritier, pour lequel il joue le chevalier servant et protecteur, et Marthe, espionne pour le compte du Deuxième Bureau français. Deux femmes qui le font vaciller, mais pour lesquelles il ne renoncera pas à sa vie solitaire...
Au final, de cet alchimie des genres est né un personnage les plus attachants du moment, intrépide et flegmatique à la fois, humaniste dans l'âme. Un héros digne de Verne et Leroux, comme il ne s'en fait plus beaucoup de nos jours. Alors, savourons les aventures de Silas Corey.
 
Et, comme je vous le disais déjà la semaine dernière si vous êtes dans la région de Villeneuve-lez-Avignon le premier week-end d'octobre, rendez-vous au Festival de Polar : Pierre Alary y sera et, j'aurai la joie de le cuisiner, samedi 1er à 16h30, sur le thème " Quand la bande dessinée explore l'arrière-cuisine du pouvoir", une table ronde où il sera en compagnie de Laurent Hirn et Hervé Boivin. 

 
Silas Corey - Le testament Zarkoff ****
Scénario Fabien Nury et dessins Pierre Alary
Glénat, 2015 et 2016 - 64 pages couleur chaque -14,95 €

samedi 17 septembre 2016

[Série] - L'Art du crime, une entreprise audacieuse de Marc Omeyer et Olivier Berlion (Glénat)

La "série-concept" (appellation non contrôlée), vous connaissez certainement : il y en a des rayons entiers chez votre libraire ou dans votre médiathèque. Elle fonctionne le plus souvent sur le même modèle : une idée de base est imaginée par un scénariste, développée, puis déclinée en une série d'albums, au nombre pré-déterminé, chacun des tomes étant réalisé par un dessinateur différent. L'intérêt de ces séries dépend souvent de cette fameuse idée de base, et dans le cas de "L'Art du crime", elle est assez séduisante. Elle est l'oeuvre du duo Olivier Berlion - Marc Omeyer, et est très clairement exposée par l'éditeur :

"Neuf arts. Neuf crimes. Une vie.
Rikers Island. Etats-Unis. 1973. Du fond de sa cellule, un serial killer condamné à perpétuité va aller au bout d'un projet narratif unique et insensé : 9 arts, 9 crimes, 9 histoires.
À travers une série de 9 albums qui explorent la fièvre créatrice quand elle devient vertige et engendre la folie meurtrière, L'Art du Crime va devenir le projet fou de cet homme, Rudi Boyd Fletcher. Chaque album nous décrit une intrigue criminelle liée à l’un des 9 arts majeurs : peinture,  littérature, sculpture, cinéma, musique, architecture, théâtre, audiovisuel et, bien entendu, bande dessinée...."

Deux tomes sont sortis en mai, et les deux suivants paraissent dans quelques jours. Voyons tout cela de plus près.

"Planches de sang", réalisé par les initiateurs du projet, commence par le "dernier" des arts, la bande dessinée, et introduit le personnage de Rudi Fletcher, clé de voûte de l'ensemble de la série. L'intrigue se déroule en 1972 et est centrée sur un "comics" qui suscite depuis plus de 40 ans la fièvre de tous les collectionneurs du pays. Pourquoi ? Parce ce que ce western "La piste du Mesaverde", personne n'a jamais pu en lire la fin, ni retrouver la trace du dessinateur... Rudi n'est pas un collectionneur, mais était enfant quand son père l'a empêché de lire sa BD fétiche, et depuis, c'est devenu une obsession : il lui faut connaître l'issue de cette histoire. Et à force de perservérance, il touchera enfin au but... mais en paiera le prix fort.

"Le Paradis de la terreur", dessiné par Eric Stalner, plonge lui ses lecteurs dans le Paris de 1860, des galerie d'art et des bas-fonds de la capitale. Elle met en scène Hyppolyte Beauchamp, un jeune peintre monté à la capitale, animé par les espoirs les plus fous, et aidé par un ami fortuné qui croit en son talent. L'ami est hélas assassiné rapidement, mais en le vengeant, et tuant à son tour un des agresseurs, Beauchamp ouvre des portes insoupçonnées à son art... Mais le meurtre comme moteur de la créativité, cela peut-il durer bien longtemps, quand les limiers de la police parisienne resserrent l'étau ?

"Libertalia, la cité oubliée", dessiné par Pedro Mauro. Il s'agit cette fois des destins croisés de Bart Kingsley, pirate insaisissable et Aldaïr Mac Allister, jeune architecte idéaliste. Nous sommes en 1640, et Kingsley écume les côtes de l'Atlantique, mettant à mal le commerce des Espagnols, Portugais et Hollandais. Ces derniers montent une expédition pour le capturer, une gigantesque chasse à l'homme maritime. A leur tête, De Vries, un capitaine impitoyable et violent, qui a une revanche à prendre sur le pirate. Mais celui-ci a senti le vent tourner et décide de fuir le plus loin possible... et la rencontre avec Mac Allister va même tout changer : les fuyards vont s'installer au coeur de la jungle de Bornéo, et y construire leur propre cité, Libertalia, où chacun est l'égal de l'autre, homme comme femme. Mais De Vries n'est pas homme à lâcher une proie qu'il a à portée de canon...

"Electra", dessiné par Eric Liberge, prend place en pleine conquête romaine, en 146 avant Jésus-Christ. Les troupes du sanguinaire Néréus atteignent Corinthe, qu'elles mettent à sac. Parmi leurs victimes, le tout jeune Zacharias, que la sculptrice Electra venait tout juste de prendre son son aile, ayant découvert le talent prêt à éclore de l'enfant. Néréus n'a eu aucune pitié pour ce gosse tentant de protéger sa première sculpture, représentant justement Electra. Emmenée à Rome comme esclave, elle fera tout pour venger Zacharias. Mais sur place, Octavius, le père de Néréus a de grands projets pour son fils, qu'il veut placer à la tête de la sécurité de la capitale, à la place de Marcus Flavius, tribun aimé du peuple et choisi par les sénateurs. Electra, Néréus, Flavius : les destins de ces trois êtres vont bientôt s'entremêler, dans les larmes et la violence...

Alors ?
Alors... "L'art du crime" vaut le détour, et il faudra voir s'il tient ses promesses jusqu'au bout. Car, comme cela a été promis au lancement de la série : " Au fur et à mesure des albums va se dessiner une arche narrative d'ensemble – du jamais vu en bande dessinée –, qui se révèlera pleinement au tome 9 et offrira à Rudi la liberté et la rédemption, dans une ultime révélation... "
Pari audacieux qui donne du piment à l'ensemble : on lit des histoires bien distinctes, à chaque fois, mais dès le tome initial, et la fin de chacun des autres, on sent une plus vaste entreprise...

En attendant d'en savoir plus sur ce final (dans 5 tomes, tout de même !), il faut apprécier ces débuts : chacun des arts annoncés y est bien présent, de manière plus ou moins importante. Pour l'architecture, il est intéressant de voir ressurgir Vitruve et son "De Architectura", et encore plus la notion de cité idéale, chère à Thomas More et son Utopie. La "Libertalia" dont il est question dans le tome 3 est même une référence directe à la colonie libertaire - mythe ou réalité - qui aurait existé à Madagascar à cette époque. Pour la sculpture, cet art reste plus en filigrane, et prétexte à la vengeance d'Electra. Bande dessinée et peinture sont par contre bien au coeur des deux premiers tomes. 
 
"Du sang sur les planches" et "Le Paradis de la terreur" sont d'ailleurs les deux récits les plus polar de la série : meurtres, enquêtes, mystères... les ingrédients y sont bien. Pour "Libertalia", le genre est plus celui du récit d'aventures, quant à "Electra", la dimension historique est la dominante. Même si la vengeance et la destinée brisée d'Electra relèvent tout de même bien du Noir...

Graphiquement, il y a une unité certaine entre les styles de Berlion, Mauro et Liberge. Stalner, avec un style plus "ligne claire", est délibérément à part, mais au regard de l'histoire racontée, de l'art mis en scène, la peinture, et de l'époque choisie, le 19e siècle, cela colle parfaitement. 
 
Enfin, il y a un autre trait d'union à tous ces albums : c'est la présence de personnages féminins forts et importants. Que ce soit Nora, la jeune indienne de "Planches de sang", Emilie, la muse d'Hyppolite Beauchamp, Mary et Carmen, les impétueuses pirates ou évidemment, Electra, l'artiste devenue esclave, toutes donnent encore plus corps à la solidité des récits.

Prochains tomes : Cinéma et Littérature. Vivement la suite !



Et si vous êtes dans la région de Villeneuve-lez-Avignon le premier week-end d'octobre, rendez-vous au Festival de Polar : Omeyer et Berlion seront là pour une présentation de leur série, le vendredi 30 septembre à 18 h. 



L'Art du Crime, scénario de Marc Omeyer et Olivier Berlion
Glénat, 2016 -Tous les tomes : 48 pages couleurs - 13,90 €

1 - Planches de sang ***
Dessins d'Olivier Berlion
2 - Le Paradis de la Terreur **
Dessins d'Eric Stalner
3 - Libertalia, la cité oubliée ***
Dessins de Pedro Mauro
4 - Electra**
Dessins d'Eric Liberge

jeudi 15 septembre 2016

[Hommage] - Spirou n°4093 - Spécial Maurice Tillieux et Gil Jourdan

 
Joie et félicité ! Le prochain numéro de Spirou - que les abonné-e-s ont déjà reçu, et défait de son emballage d'une main tremblante d'émotion - est un numéro Spécial Maurice Tillieux. La superbe couverture d'Olivier Schwarz annonce la couleur : Gil Jourdan a 60 ans, pas question de laisser passer cet anniversaire ! 

Au sommaire, deux récits complets : "Omelette et sables mouvants", 9 pages de Yann et Schwarz, et "L'Héritage de Laville", 4 pages de Baron Brumaire. Et pour rafraîchir les mémoires, la rubrique "Les aventures d'un journal" revient sur le n°962 du 20 septembre 1956, qui annonce sobrement sur sa couverture : "Nouveau ! GIL JOURDAN, un policier signé M. Tillieux". Ah ! Heureux lecteurs et lectrices de l'époque qui allaient découvrir une des plus grandes figures du polar du 9e Art. Et oui, rien que ça... Et qui allaient vite faire la connaissance de l'impayable repris de justice André Libellule, et de l'inénarrable inspecteur Hannibal Crouton. Le trio de choc était né, épigone sublime de Félix, Allume-Gaz et Cabarez...

(Queue-de-) Cerise sur le gâteau (pour les abonné-e-s, vous savez, cellezetceux aux mains tremblantes...), ce numéro est accompagné d'un autre récit complet, détachable comme il se doit, 12 pages de Bibeur-Lu et Fardin : "Le supplicié de Buzenval".


 
Ce numéro est un vrai bonheur pour les fans de Gil Jourdan : ne le ratez pas !

Spirou n°4093 - Daté du 21 septembre 2016 
Editions Dupuis - 52 pages - 2,40 €

dimanche 11 septembre 2016

[Fifties & Sixties] - Robert Sax, Kaplan & Masson et Scott Leblanc : Belgitude, ligne claire et espionnite...

Magnifique tir groupé ces derniers mois d'albums aux intrigues tout droit sorties des années de guerre froide ! Et avec des scénaristes qui n'hésitent pas à mettre en scène des héros pas vraiment attendus : un garagiste nonchalant, un reporter animalier un brin neu-neu et un duo de choc espion du SDECE / homme de science ... Et tout ce petit monde vit de trépidantes aventures sous la plume de disciples chevronnés de la ligne claire...

Robert Sax, de Rodolphe et Alloing est le dernier arrivé de la bande. Dans "Nucléon 58", voici ce héros-malgré-lui, garagiste dans le Bruxelles de 1957, plongé par hasard au coeur d'une affaire de plans secrets de véhicule révolutionnaire, à l'énergie atomique (époque oblige !). Robert vient en aide à son meilleur ami, Boon, libraire de son état, qui a hérité par hasard des plans que toute une ribambelle de personnages louches rêve de s'approprier. Des agents de services secrets, of course.
Dans "Paradis perdu", Sax se retrouve cette fois la cible d'une bande de mafieux, en plein centre d'un règlement de compte entre gangs. Avec une seconde affaire qui vient se superposer à cette première : l'assassinat d'une chanteuse dans des conditions qui replongent Robert dans un passé douloureux. L'amour de sa vie, Alice a été tuée dans le même quartier, à la même heure, avec le même calibre, quelques années auparavant...
Robert Sax, en patron de garage mélancolique et désabusé, est un personnage attachant, tout comme le sont les personnages secondaires qui gravitent autour de lui : Boon, le libraire, Raoul, le fidèle mécano (car le patron ne met jamais les mains dans le cambouis) et Peg, la secrétaire de choc, qui a le bon goût de ne pas être une blonde à forte poitrine mais une brune à cheveux courts, et dont on pressent qu'elle pourrait prendre plus de place dans la vie du patron, pour former un vrai duo confronté à des enquêtes à rebondissements. Espérons-les retrouver, car ces deux premières aventures sont vraiment plaisantes à lire.

Kaplan & Masson forment eux déjà un duo original, dont l'apparition remonte déjà à 2009 (dans "La théorie du chaos") et c'est un vrai plaisir de les retrouver enfin dans cet ahurissant "Il faut sauver Hitler". Jean-Christophe Thibert, seul au commande pour ce second tome (Didier Convard a imaginé et scénarisé le premier tome ) a repris le mythe du Führer ayant échappé à la mort dans son bunker en avril 1945, et dont les adorateurs, eux, dans le secret, préparent le retour. Pas vraiment original, se dit-on, sauf que très vite, on voit l'habileté de l'auteur : il ne s'agit pas du vrai Hitler mais d'un sosie, un Français, Jules Lantier, germanophone distingué et acteur... Une trouvaille des services secrets français, pour enfumer les pays adverses, où Lantier est le personnage-clé de l'opération "Piège à cons". Cela marche si bien que le pauvre Hitler de pacotille (mais au demeurant très crédible) est devenu l'homme à abattre de tout le monde.... Il faut donc le tirer des griffes d'innombrables ennemis. Ce que font Kaplan, Masson et le facétieux japonais Watabe, dans une succession de scènes hyper-spectaculaires où les coups de poing pleuvent, les mitraillettes arrossent à gogo, les murs de chambres d'hôtel sont pulvérisés au bazooka, et des véhicules de toutes sortes finissent en amas de tôles informes. Le tout avec une précision, une élégance et une efficacité dans le trait qui forcent le respect. C'est même carrément du grand art ! Il y a évidemment une dimension parodique à tout cela, et ce second tome franchi un palier dans ce domaine. Et donne fortement envie de retrouver plus vite ces grands malades...

Mais le plus malade d'entre tous reste bien l'inénarrable Scott Leblanc, qui dans sa quatrième aventure, a l'immense honneur de croiser sur sa route rien de moins que Sa Majesté le Roi des Belges. Notre sympathique reporter, comme aime à le qualifier ses auteurs, est tout fier d'avoir obtenu une interview du roi Baudouin, car comme il le dit : " J'ai le sentiment qu'un homme aussi charismatique doit avoir des choses passionnantes à dire sur le monde animal"... Ah ? Vous ne saviez pas ? Scott Leblanc travaille pour le magazine "Bien en vue" où il tient avec une foi et un enthousiasme chevillés au corps la rubrique "Des animaux et des stars". On imagine donc son excitation à la future rencontre avec Baudouin. Sauf qu'il ignore qu'il va servir d'appât à une odieuse substitution d'altesse, menée par de sinistres individus et qu'il va tout simplement se faire enlever. Et sa brave maman, folle d'inquiétude va supplier le professeur Moleskine, habituel compagnon de route (mais qui se passerait bien de ce fardeau) de Leblanc. Les voici donc tous deux sur les traces du pauvre reporter, aux mains de méchants qui ont pour simple ambition de rayer de la carte URSS, Etats-Unis et Europe et d'installer un ordre nouveau...

"Echec au roi des Belges", est déjà la quatrième aventure de Scott Leblanc et il faut dire sans détour : c'est toujours aussi débile... mais qu'est ce que c'est roboratif ! Voilà un pur pastiche de Tintin : c'est évident graphiquement, Devig dessinant dans un style tout hergéen ces aventures débridées, et cela se confirme au niveau des textes, écrits avec Geluck. On ne compte plus les "diaboliques machinations", "sinistre forfait" et autre expressions surannées qui parsèment les conversations et récitatifs. La cerise sur le gâteau étant bien entendu la naïveté simplette du héros, toujours là pour poser les questions les plus stupides aux moments les plus délicats. Et en plus, sa mère est cette fois de la partie. C'est un sacré personnage que Devig et Geluck ont inventé là, et il faut espérer que les cinq aventures aux titres alléchants (en particulier, "Seul contre l'OAS" !) annoncées au dos de ce quatrième tome verront le jour...



Kaplan et Masson 2 – Il faut sauver Hitler ****
Scénario et dessin Jean-Christophe Thibert
Glénat, 2016 – 48 pages couleur – 13,90 €

Robert Sax 2 - Paradis perdu ***
Scénario Rodolphe et dessin Louis Alloing
Delcourt, 2016 - 48 pages couleur - 14,50 €


Scott Leblanc 4 - Echec au Roi des Belges ****
Scénario et dialogues Devig et Philippe Geluck - Dessin Devig
Casterman, 2016 - 48 pages couleurs - 12 €

lundi 5 septembre 2016

[Réédition bienvenue] - L'Exécuteur - Le Jeu Mortel, par Wagner et Ranson (Délirium)

Harry Exton est un ancien mercenaire rangé des missions. Il est tiré de sa retraite par un vieil ami, Carl, qui lui parle d'un moyen assez spécial de se faire un maximum de fric. Un jeu, pas vraiment légal, mais vraiment dangereux : les participants doivent éliminer une cible, dont ils ne savent rien, si ce n'est qu'elle leur a été désignée par une mystérieuse "voix". Chaque victoire rapporte un beau pactole à l'exécuteur... tout comme à sa Voix. Harry refuse dans un premier temps, mais quand il est lui même pris pour cible, et qu'il parvient à éliminer son tueur, le voici d'office dans la ronde infernale du jeu. Il devient à son tour un des éxécuteurs en compétition, jusqu'à ce qu'il décide de sortir du jeu. Mais on ne quitte pas le jeu de son propre chef. Et si on le quitte, c'est les pieds devant. Harry n'est pas tout à fait d'accord...

Excellente chose que cette nouvelle édition par Delirium du "Button man" (le titre en vo) de John Wagner et Arthur Ranson. Ce polar atypique paru dans le magazine 2000 AD au début des années 90 avait connu une première édition chez Arboris, en 2 volumes, en 1995. Et avait vite disparu des rayons pour se retrouver chez les soldeurs... Et pourtant, quelle histoire prenante, quel dessin fascinant ! Le scénariste John Wagner (oui, celui de Judge Dredd et de History of violence) plonge son personnage dans une chasse à l'homme, froide, où la violence n'a rien de fascinant. Et où, comme il l'écrit dans la préface : "... il n'y a pas de gentil. Des tueurs sans pitié, oui, ça plein.... Et Harry lui-même est un être humain glacial et implacable comme on en voit peu". Certes, c'est un peu l'archétype de la figure du tueur à gages, sauf que là, il y a ce jeu, où les puissants de ce monde jouent avec la vie de autres, avec toute l'arrogance qui peut caractériser certains riches. Et, surtout, tout cela est sublimement découpé, et mis en images, par Arthur Ranson, dont le trait ultra-réaliste subjugue dès la première planche. Et ses décors, que ce soit sa campagne, qui suinte littéralement d'angoisse, ou sa ville, nappée d'un brouillard mortel pour qui s'y perd, le tout dans une ambiance nocturne, tout est réuni pour un thriller, un vrai, qui fait flipper. 


  Il y a eu trois "recueils" de Button man outre-Manche : "The killing game" (cette traduction, donc) "The confession of Harry Exton" et "Killer killer". Un quatrième est à venir, "The hitman's daughter". Délirium a prévu de traduire et publier au moins les tomes 2 et 3. Ne les ratez pas !

Et comme j'en suis à saluer le travail de cet éditeur, sachez qu'ils viennent également de sortir un second recueil d'histoires inédites de Judge Dredd, "Les liens du sang". Là encore, on y retrouve John Wagner au scénario d'épisodes dessinés par Fraser, Ezquerra et MacNeil. Mais je reviendrai plus tard sur cet album et sur le sympathique Juge au sourire si doux.

L'Exécuteur 1 - Jeu mortel ****
Scénario John Wagner et dessin Arthur Ranson
Traduction nouvelle de Philippe Touboul
Delirium, 2016 - 96 pages couleur - 20 €

dimanche 4 septembre 2016

[INTERVIEW] - "7 frères" (Delcourt) : 7 questions à Hervé Boivin

Deuxième album de la saison 3 de la belle collection "7" des éditions Delcourt, "7 frères" est paru au tout début de cette année. Retour express en 7 questions sur cet album, avec Hervé Boivin, le sympathique dessinateur de cet épisode.

Bédépolar - Hervé, te voici dans la célèbre collection "7", de Delcourt, avec une histoire autour de la Franc-maçonnerie. Comment est-tu arrivé dans cette collection ? Une envie, une proposition de ta part ?


Hervé Boivin - C'est David Chauvel qui dirige cette série "concept", et qui donc choisit les auteurs qui y participent. J'avais, jusqu'alors, toujours travaillé avec lui en tant que scénariste sur mes précédents albums, mais son planning ne lui permettait pas de me proposer une collaboration directe. Par contre, il a vu dans la troisième saison de "7" un scénario qui pouvait correspondre à ce que j'avais développé sur WW 2.2 (une uchronie dont Hervé a dessiné les tomes d'ouverture et de conclusion)
Dans la série "7", je pense que David trouve, ou reçoit d'abord des propositions des scénaristes qu'il met ensuite en relation avec des dessinateurs. Le scénario, ainsi que la perspective de travailler avec Didier Convard et JC Camus, m'ont plu. C'était parti.


Bédépolar - Justement, pour la première fois, tu n'as pas un, mais deux nouveaux scénaristes : quelle a été la répartition des rôles ?


Hervé Boivin - J'imagine que tu poses là la question de la répartition entre les deux scénaristes, car pour moi, le travail était le même que sur un scénario écrit par une seule personne...

Du coup, je peux difficilement répondre, car je ne suis pas au courant de la manière dont ils ont procédé. Je peux malgré tout imaginer qu'ils avaient des réunions entre eux pour échanger et se distribuer les tâches mais je ne me risquerai pas à inventer ce que je ne sais pas...

Pour ma part, je recevais le scénario au fur et à mesure, mes questions, par mail, étaient toujours adressées aux deux, et la validation des étapes se faisait toujours avec les deux. 
 


Bédépolar- "7 frères" est un "one shot", dans une veine réaliste, aux allures de thriller, mais à forte dimension historique... Tu veux devenir un spécialiste de la seconde guerre mondiale ?


Hervé Boivin - Comme j'ai commencé à le dire dans une précédente question, ce n'était évidemment pas un hasard de retravailler sur un scénario qui traite de la période de la seconde guerre mondiale. C'est un moyen de profiter de toute une documentation et d'un savoir faire acquis. Ca permet un confort dans un exercice qu'est le "one shot", ou l'on repart de zéro, sur un temps assez court, comparativement à une série.

De là à m'imaginer spécialiste, ce n'est pas le cas, et d'ailleurs le challenge de m'atteler à un nouvel univers, fait partie de mes plaisirs dans la bande dessinée.



Bédépolar - Outre la reconstitution des décors et contextes de l'époque, quelles sont les difficultés quand on s'attaque à ce genre d'histoire, aux codes visuels bien précis...


Hervé Boivin - Il y a effectivement des difficultés mais qui peuvent être des avantages. Parfois des contraintes fortes vous cadrent et vous évitent de vous perdre. Mais la principale difficulté a été de l'ordre de la mise en scène. Le contexte d'un temple maçonnique avec ses codes et ses placements de personnes bien particulières, m'ont donné du fil à retordre pour actionner la narration et rendre fluide et vivantes les discussions tout au long du huis-clos.

Bédépolar - Il y a beaucoup de livres sur le sujet de la Franc-maçonnerie. Comment celui-ci a-t-il été accueilli
 


Hervé Boivin - Si je me base sur les retours presse et même directs, le livre a été bien accueilli. Ce n'est pas un livre sur la Franc-Maçonnerie, mais un livre dont le contexte est une histoire de résistance, avec cette originalité que les personnages sont Franc-maçons. Les deux scénaristes sont calés sur le sujet, c'est de notoriété publique. Ils ont d'ailleurs respectivement traité du sujet dans d'autres ouvrages, mais on peut tout à fait apprécier l'album sans s'intéresser à la Franc-maçonnerie. Quand au public franc-maçon, je ne sais pas s'il y en a eut beaucoup, mais évidemment j'ai plusieurs fois rencontré des gens qui désiraient offrir l'album à une connaissance Franc-maçonne. Pour l'anecdote, il y a tout de même eut une loge belge qui nous a commandé sept albums dédicacés pour offrir à sept nouveaux "Frères" qui venaient d'être initiés... 
 


Bédépolar - Quels sont tes titres préférés dans cette collection ?


Hervé Boivin - Déjà pour commencer, je ne les ai pas tous lus, loin de là.

Donc, parmi ceux que j'ai lu, il y a le tout premier, "7 Psychopathes" de Velhmann et Phillips, tant par l'histoire que graphiquement, et dans la deuxième saison, "7 Détectives" de Hanna et Canete", qui est un très bon album qui a d'ailleurs donné lieu à une série chez Delcourt : "Détectives", qui met en scène des histoires avec les différents personnages.


Bédépolar - Ta première bande dessinée, "Trois allumettes", relevait plutôt du genre noir Reviendras-tu un jour au polar "pur", comme à tes origines ? Es-tu tenté par ce genre ? Que prépares tu ?


Hervé Boivin: -Bien que je ne sache pas trop ce qui m'attende dans le milieu de la bande-dessinée, oui, j'aimerais beaucoup revenir à du polar pur, contemporain. Noir ou pas. En ce qui concerne mes goûts en littérature, par exemple, je ne lis quasi exclusivement que du polar (beaucoup américain: Burke, Leonard, Pelecanos, Lansdale...). Maintenant, sans m'en faire, là non plus, un spécialiste, j'aimerais y faire une incursion.

Ce que je prépare ? Au moment où je réponds à cette interview, les choses sont encore trop floues pour que je puisse répondre correctement à la question... mais ce que je peux dire malgré tout, c'est que ça ne devrait être ni historique, ni purement polar. ça laisse du champs...




  J'ajoute à cette conclusion qu'il ne faut pas non plus passer à côté de la réédition (chez Aaarg !) des deux aventures de "Lili et Winker", en un volume (Pretty little nightmares). Et si vous êtes dans la région de Saint-Brieuc, n'hésitez pas à faire un tour du côté du chouette resto "Caramel et Compagnie", qui accueille une expo d'originaux d'Hervé Boivin, du 6 au 29 septembre.
  

Une autre grosse exposition, entièrement consacrée à "7 frères", aura lieu au centre culturel Victor Hugo de Ploufragan, en prélude au festival "Noir sur la Ville" de Lamballe, dont Hervé a réalisé l'affiche.

Et enfin, si vous êtes dans la région d'Avignon le 1er week-end d'octobre, passez donc faire un tour à l'excellent festival de polar de Villeneuve-lez-Avignon : Hervé Boivin y sera, avec d'excellents confrères dessinateurs... mais je reviendrai plus en détails sur le programme de Villeneuve dans un prochain billet.



En attendant, lisez donc "7 frères" !



7 Frères - Sept francs-maçons résistants face au mensonge **

Scénario Didier Convard et Jean-Christophe Camus. 
Dessins Hervé Boivin

Delcourt, 2016 - 56 pages couleur - Collection "7" - 14,95 €